Combien sont-ils
Hommes femmes jeunes garçons ou filles
Mères salopes et putains
Repues ou affamées
Pour courir en traversant la rue
Aller chercher l’enfant qui vient de naître
Sortant du ventre éventré de la mère
Baignant dans les tripes chaudes sanglantes et fumantes
Combien les uns après les autres
Enjambant les cadavres
Sous les balles et les bombes du tyran
Vont traverser la rue pour entrer dans les ruines
Celui celle l’autre qui ne supporte plus
Ecoute les mains sur les oreilles
L’enfant hoqueter avant de crier de plus en plus fort
Pour finir par hurler à pleins poumons désespéré.
Combien reviendront portant l’enfant
Arraché au ventre de la femme
Parmi les boyaux murmurants et la plaie impossible à fermer
Haut dans les bras en le sentant gigoter
Traverser la rue pour revenir avec lui
Dans les bras
Enjamber les morts amis amants maris autres inconnus
Le regarder luttant de toutes les forces de ses poings minuscules
Pour rester éveillé pour alerter pour taillader le cœur
Jusqu’à ce qu’on vienne le chercher
Le dernier enfant le premier
Qui parle de paix
Combien et moi j’attends
Laissant mes résolutions derrière moi
Regardez-les je suis eux comme tu es moi
Alors si je ne parle pas tuez-moi
De plus en plus en cris déchirants
Il ne comprend pas pourquoi on le laisse seul la face heurtant la nuit définitive
Combien
Moi dit-elle toute petite à peine dix ans
J’y vais
En silence l’enfant dans les bras elle est revenue
En riant
La guerre est gagnée dit-elle
En le posant au sol
* lire Mathias ENARD « Remonter l’Orénoque »