Or. 1.
Neige,
Blé,
Tentes et saletés,
Et de toboggans en manèges,
De lunettes en colliers d’indiens,
De barques colmatées de mousse de sapin,
Tous avançaient,
Sauf les chevaux,
Le ventre calé par la boue,
L’or est drapeau,
Cette erratique lueur les bafoue,
Ils sont méconnaissables et toute cette puanteur ! …
Et dans la pente molle de leurs forces, férus, les éclaireurs
Regardent les noms, des noms de femmes, clignent des yeux
Et se lavent dans ce paysage bourbeux,
Ils aiment et s’empoisonnent
Arrivés à Dawson.
Le guerrier. 2.
Il a vu plus de bombes
Que de gens à l’urbi et orbi,
Et plus d’hécatombes
Encore. Souvent et subi-
Tement,
Le temps
Vient où il dessine ces monstres vieux
A la craie et se hâte
La galère. Les scènes n’ont pas de lieux,
Pas de couleur, ni date.
Des uniformes seuls
Vidés de leurs frissons,
Des boucliers vivants
Et des gueules cassées,
Des jambes délaissées
De quelques survivants,
Et pris dans les buissons
Tout l’arcanson qu’ils veulent.
L’ouvrier, son chien et sa péniche. 3.
Ton sacré univers
En noir et blanc,
Des affiches décorent des vitres brisées,
Ton nez, un verre
Et un rouge changeant
Si mauvais qu’il peut t’aériser,
Là, le travers de tes poches, elle, sa jupe plissée,
Le blanc au blanc de la jeune mariée,
Un chien sur une chienne et la rue affaissée,
Une femme, une plus vieille qu’on a expropriée,
Mais la brume persiste
Et le soleil accouche,
Ton chien insiste,
Gémit et s’effarouche.
Alors tu t’étends sur le granit sale
Et tu fermes tes yeux sur des chimères alluviales,
Aux songes les cauchemars sont les succursales
Que baignent les frissons et les sueurs diluviales,
Alors tu prends la barre
De ta péniche,
Les amarres,
Tu t’en fiches,
Alors ? Alors tu restes là, coincé dans ton amertume
Que milles gens cultivent entre quatre murs,
Où des farandoles de jeunes aux dedans de brumes,
Aux sourires dehors courent sur le fur
Et à mesure des ombres burlesques
Des bâtiments laids et grotesques.
Tu revivras encore et très souvent
Le mariage des amoureux si seules,
Les dimanches où quatre fesses frottent la croûte
Des vieux bancs,
Le déjeuner du même jour, le devant
De chez Gégène où tous veulent
Un autre jour à leurs baisers, où tous se foutent
Des cancans.
Les caddies. 4.
Les caddies sont leurs maisons,
Les boîtes en fer sont leurs bols,
Le pain est celui des autres,
Le café, plus de café,
Endroits sordides de peine,
Dans les poubelles, le repas,
Pour tout cela faut des raisons,
Des vacheries en paraboles
Et puis une autre et puis une autre,
Toujours pas de café,
Lieux immondes et pérennes
A l’heure triste du trépas.
La beauté des interdits. 5.
Les têtes sont penchées en avant
Pendant que les cloches sonnent leur harassement,
Le clocher bien vissé sur le paravent
D’azur témoigne vaniteusement.
Les sillons sous les foins,
Les mains et pieds joints,
Un outil pour la terre
Qui a fait son temps
Et creuse leurs viscères
Jusqu’au prochain printemps
Mais ils rient comme ils rient,
C’est beau comme interdit.
Tu es ille vir. 6.
« C’était le temps où il ne faisait pas semblant,
Semblant de penser, de parler, de faire, de tuer,
De choisir et de manger, de dormir ou de défaire, d’aimer,
C’est lui, c’est l’homme ! »
Dit-elle en le voyant,
C ’est lui qui va en tuant,
Six témoins, un mort, une femme et lui, la cour,
Le jury et du mensonge en enfilade,
Neuf ans d’ombres quadrillées, de cour,
Le meurtrier passionné s’évade.