Moi... Poilu Vendéen 3ème extrait

Hier, j’ai tué mon 21ème homme. J’ai compté une nouvelle vie partir.
Je l’ai tué machinalement, les yeux fermés.
Comment pourrais-je, à mon retour, gronder, punir
Mes écoliers qui viendraient à se chamailler.

La nuit, quand il m’arrive de dormir vraiment,
D’obscurs cauchemars me réveillent.
Des corps désarticulés, ensanglantés, crient Maman.
Des corps qui souffrent et qui pleurent ; mes victimes de la veille.

Moi qui préservais le mulot des campagnes,
Qui fleurissais la terre des talus, des chemins,
Aujourd’hui j’assassine pour un petit mont de Champagne
Et je ravage les sols couverts de gamins.

J’ai perdu ma jeunesse.
Je perdrai sans doute ma vie.
La guerre est une faiblesse ;
La paix une utopie.

Tu m’écris que Paul, notre bébé de trois ans,
Que je n’ai connu que dans les langes et à ton sein de mère,
S’en est allé chez les anges ce matin de printemps.
Je veux sauver la France, mais incapable de protéger ma chair.

Les poings serrés, je frappe dans la glaise boueuse.
La colère me torture ; mes mains pissent le sang.
Le sergent s’interpose. Je le repousse d’un coup de genou dans les valseuses.
Je crapahute la tranchée. Face au feu, je te rejoins mon enfant.

Je l’ai rencontré à Damery
Et j’ai été sous ses ordres.
Il a composé ces vers pour moi et Marie
Sous un déluge de plombs à s’en tordre.
Il faisait des dessins avec ses mots.
Il appelait cela CALLIGRAMMES.
Puis notre unité a rejoint le Fort de Vaux.
Apollinaire est allé à Paris.
Un livre ou une femme ?

J’ai vu la mort en face, soudaine,
Dans les yeux de ce jeune soldat Allemand.
Il s’est jeté sur moi, ce croque-mitaine.
J’ai réagi instinctivement.

Surgissant de nulle part,
Il a sauté dans la tranchée.
Son sabre brillait dans mon regard.
J’ai saisi deux baïonnettes et l’ai enfourché.

Il a geint l’espace d’un souffle.
J’ai eu peur. J’en tremble encore. J’ai froid.
J’ai eu peur. J’ai froid. J’étouffe.
J’ai mal. Je meurs. Son sabre est en moi.