L’homme n’est qu’invité, ici

Ce n’est pas la chaleur mais il y fait bon vivre.
On y conserve les vieilles valeurs ; vous n’avez qu’à me suivre.
C’est un petit village, pas loin de la Cité des Sacres,
En léger décalage ; on pourrait y croiser des fiacres.
Un petit bourg vivant, pas un dortoir rural,
Qui se veut émouvant et dynamique, de façon générale.
J’ai choisi d’y bâtir mon avenir et ma maison.
J’ai choisi de sortir de la ville et de ses déraisons.

L’homme n’est qu’invité, ici.
A lui de protéger cette place.
Pas d’hostilité, pas de geste imprécis
Mais l’homme se croit trop fort, hélas.

Le matin, en me levant, j’entends rire la nature.
J’ouvre les volets, le vent se glisse sur la toiture.
Je déjeune sur la terrasse. Ni voiture, ni usine à l’horizon.
Une douceur sans tâche, sans infection ; le parfum de la belle saison.
La fumée du café se disperse dans le ciel azuré
Et je me laisse aller à une oisiveté démesurée.
Les lapins traversent le jardin sans se soucier de moi.
La pelouse, humide, enlace le trèfle avec émoi.

L’homme n’est qu’invité, ici.
A lui de protéger cette place.
Pas d’hostilité, pas de geste imprécis
Mais l’homme se croit trop fort, hélas.

Une volée de perdrix me ramène à la réalité.
Le bonheur à la campagne n’est pas une fatalité.
Heureusement. Une décision hâtive, un mercredi matin
Et les bulldozers se font d’un bois un bien vilain festin.
Adieu les écureuils et les merles moqueurs ;
Une décision hâtive nous met les larmes au cœur.
Les classes de nature se feront sur des livres
A moins que la Terre, seule, se délivre.

Car l’homme n’est qu’invité, ici,
Sa place est temporaire.
Notre planète, un jour, lasse de sa calvitie
Se débarrassera de nous dans une exécution sommaire.

Beine-Nauroy (51) en 1996